La liberté ou la vie, qu'est ce qui est le plus beau ? [terminé]

Alcade se parlait à elle-même, à voix haute, ou plutôt, parlait à son ami de toujours, l'ange Eladriel. Dehors, une pluie fine mais glaçante frigorifiait les loups assez courageux pour s'y aventurer, par une nuit pareil. Un beau feu flambait à côté d'elle, dispensant sa chaleur dans ses membres, et réchauffant sa fine fourrure lustrée. Que la chaleur de ce feu était agréable! Cette nuit humide, fraiche et noire gâchait son moral. Mais elle pouvait discuter avec Eladriel. Il lui parlait des nouvelles sensations qu'il ressentait, depuis qu'il était entré dans son corps, il y a si longtemps de ça.
"Le froid et la chaleur étaient des données complètement abstraites pour moi. Mais maintenant, je les ressens vraiment et les comprends. Je pense que je ne serais plus capable de vivre sans corps. Je comprend pourquoi vous, êtres de chair et de sang, aimez à ce point la vie et votre corps! Mais, et c'est vraiment dommage pour toi, tu ne pourras jamais connaître la liberté de pouvoir voler dans les cieux, ou bien plonger dans les profondeurs de la terre, sans avoir ce corps lourd et maladroit pour te bloquer!"
Cela fit soupirer la renarde. Il lui donnait vraiment envie. Malgré toute la liberté qu'elle avait réussie à acquérir, il lui en manquait toujours ! Qu'est ce que c'était énervant!
"Mais quand je mourrais, est-ce que je pourrais faire tout ce que je veux avec mon âme ? Pourras-tu me guider à travers ce monde ?
-Je ne sais pas trop. Déjà, tu risques de vivre beaucoup plus longtemps que les autres mortels de ton espèce. Mais même pour moi, c'est trop court. Pour moi, je te connais que depuis quelques secondes, alors que cela fait des années pour toi. Alors le temps risque d'être long avant ta mort, Alcade. Je ne peux te conseiller de profiter de la vie, car morte, tu n'auras plus cette liberté qui t'est attribuée!"

Acade, toute à ses discussions métaphysiques avec Eladriel, n'avait pas entendu ce loup noir et bleu venir. Elle fut surpris de le voir débarquer comme ça, à l'improviste, mais ne le montra pas. Il semblait élégant, poli et sa voix d'une tonalité excise. Il était trop parfait à son goût. Et elle était d'humeur taquine, cette nuit.
"Bien sûr que tu me déranges, patate ! Tu crois quoi, que je vais accueillir tous les étrangers qui débarquent ici en leur disant :"Oh oui, vient tout tremper avec tes sales pattes mouillées !" ?"
Tout en parlant, elle s'approcha, menaçante, Ses crocs étaient découverts et son pelage hérissé l'avait fait doublé de volume. Puis à l'instant où normalement, elle devrait lui sauter dessus, elle se rassit, son pelage retomba, et elle lui dit avec un grand sourire :
"Eh bien oui, tu peux tout tremper avec tes sales pattes mouillées !" Elle éclata de rire et l'invita de la queue à venir s'approcher du feu. Elle se rallongea à sa place initiale, puis l'observa. "Je m’appelles Alcade, bienvenue dans mon humble chez moi." De nouveau, elle éclata de son si beau rire charmeur.

"Ce n'est pas grave, je l'ai bien mérité. Et puis, c'est mignon les patates maladroites!" Elle rit avec lui - elle adorait son rire, il était simple mais sonnait vrai - .
"oh, et avant que tu ne me prenne pour une folle, je te préviens que nous avons une autre personne avec nous !"
En quelques instants, des ailes poussèrent à la place des tâches blanches sur les omoplates, qu'Eladriel replia le long de son corps pour ne pas gêner Urion. Il dégageait une aura de beauté et de sagesse, tel qu'Urion n'en avait probablement jamais vue.
"Bonjour Urion. Mon nom est Eladriel, je suis un ange."
La voix d'Eladriel était beaucoup plus profonde, plus mature, plus royale aussi, d'une certaine manière.
Puis d'un même mouvement, Alcade et Eladriel sourirent en penchant la tête, anticipant la réaction de surprise du solitaire.

"Ce n'est absolument pas un secret, Urion. Tu peux en parler à qui tu veux. Je suppose que tu voudrais savoir comment un ange a bien pu se retrouver dans le corps d'une renarde. Eh bien, voilà ce qui s'est passé. En me promenant sur ces terres, je me suis un jour fait attaquer par un démon. Il était plus fort que moi, mais de beaucoup. Il allait me tuer quand Alcade a bondit sur lui à l'improviste, le tuant d'un coup de croc. Mais il était quasiment trop tard pour moi. Alors, dans son extrême bonté..."
-Extrême bonté ? N'importe quoi, Eladriel! En fait j'avais besoin de quelqu'un qui sache se battre, alors j'ai accepté qu'il partage mon corps pour me défendre et lui laissé la vie sauve. Voilà ce qui s'est vraiment passé."
l'interrompit Alcade.
"Et toi, continua Alcade, veux-tu nous raconter ton histoire ?"

Eladriel était tout ouï, tandis qu'Alcade écoutait poliment, mais sans être véritablement intéressé comme l'était Eladriel. L'ange trouvait que ce loup avait acquis la mentalité et la sagesse d'un ange : Toute vie, même la plus insignifiante était sacrée et devait être préservée. Bien sûr, les loups avaient le droit de manger des créatures inférieures, mais il était inutile, voire punissable, de tuer des créatures en vain.
Le temps que chacun raconte son histoire, le feu s'était éteint.
"Tiens, la pluie s'est arrêtée" fit remarquer Alcade. "Je propose d'aller faire un petit tour dans la forêt. Il paraît que de nuit, cela peut-être magnifique." Sans attendre de réponse, elle s'élança dehors, courut un peu, puis fit demi-tour en un dérapage parfaitement maîtrisé, avant de revenir rejoindre Urion en trottant.
La nuit était clair, comme si la fine plie froide de tout à l'heure avait lavée le ciel de toutes impuretés. Les étoiles du ciel se reflétaient dans chaque feuille et goutte d'eau, de sorte que les deux loups avaient l'impression de voyager dans le ciel, au milieu des étoiles. Eladriel se sentait presque de retour chez lui, au royaume des Cieux.

Le loup failli lui rentrer dedans mais i réussi in extremis à s'arrêter à quelques pas d'elle, avant de reculer d'un pas, gêné. Urion semblait baigné dans un océan d'étoiles. Il semblait être le ciel en personne, avec sa fourrure bleu-noire qui faisait ressortir l'éclat des étoiles. Il était magnifique ainsi, même aux yeux d'Eladriel, qui ne s'intéressait pas à la beauté en général. L'ange sut tout de suite ce qui allait arriver, et en effet, Alcade se rapprocha d'Urion, s'assit à quelques centimètres de lui, et posa sa tête sur la base de son épaule, le plus haut possible. Les ailes d'Eladriel disparurent, car Alcade reprenait le contrôle. Ses beaux yeux roses foncés et sans iris semblaient plein d'étoiles, tout comme la fourrure du solitaire. Dans ces moments-là, Alcade oubliait presque qu'elle était une renarde et que le mâle qui la protégeait était en fait un loup...

Alcade était étonnée de sa question. Le pire, c'est qu'elle sentait Eladriel l'approuver, mais elle ne comprenait pas pourquoi. L'ange pensa :"Je l'aime bien ce petit, il mériterait vraiment de devenir ange à sa mort !"
Alcade réfléchit un peu, puis lui répondit:
"Parce que je t'aime bien. tu est sympas, mignon, et j'aime bien être avec toi. Alors pourquoi je ne ferais pas ça ? Rien ne m'empêche, et de toutes façons, je ne permettrait pas que quelque chose m'en empêche. Je fais ce que je veux, quand je veux, et si j'ai envie de te montrer mon affection comme cela, et bien je le fais!" Et, joignant le geste à la parole, elle lui lécha la joue, avant de reculer brusquement. Elle était bien dressée sur ses quatre pattes, sa queue gonflée comme seule celle d'une renarde pouvait l'être. Si elle avait été un chien, elle aurait eu la bouche grande ouverte, la langue pendante, et sa queue frétillerait; Mais ce n'était pas la cas, alors elle lui lança :
"Viens, j'ai envie de courir un peu!"
Elle s'élança, toute à sa joie de sentir le vent contre son fin pelage, puis elle se rappela qu'elle avait un compagnon. Elle freina brusquement dans l'herbe détrempée, et envoya une nuée de gouttelettes voler en tous sens.

La jeune renarde lui sourit en retour, puis se jeta sur lui pour le faire tomber; Ils roulèrent tous les deux dans l'herbe humide, et Alcade se trouva au-dessus du loup solitaire, à le regarder dans les yeux. Pour une fois, Eladriel ne dit rien.
"T'es vraiment un chic type, Urion !"
Puis elle le laissa se relever et se gratta l'oreille droite avec sa patte arrière, faisant tressauter sa mèche rose foncé. Quand elle eut fini, elle observa l'horizon; Le ciel commençait déjà à pâlir, annonçant la venue du soleil et d'un jour nouveau. Elle n'avait pas dormi de la nuit ! Tant mieux d'ailleurs, on disait que ceux qui s'endormaient dans cet endroit ne se réveillaient pas. Elle en frissonna, puis vint trouver refuge auprès d'Urion, parmi ses doux poils noirs. Elle tendit la tête pour croiser son regard.
"Dis, tant que je serais avec toi, tu me protégeras, n'est-ce pas ?"

Alcade soupira d'aise, et se colla un peu plus contre la douce et chaude fourrure de son ami. Elle sentit sa langue contre sa joue et elle en frissonna, mais de plaisir cette fois-ci.
Je serais peut-être capable de faire de la provocation inutile, mais je ne serais pas capable de tuer. Et même si j'essayais, je serais empêcher par cette vieille bourrique d'Eladriel." termina-t-elle affectueusement.
Elle se plongea dans les beaux yeux azurs. Le soleil levant allumait des reflets de différentes couleurs dans le pelage sombre du loup solitaire. Qu'il était bon de se sentir au chaud et en sécurité, protégé par un ami en qui elle pouvait avoir confiance ! Mais, lentement, ses paupières commencèrent à se fermer, et elle bailla, dévoilant ses petites dents blanches et pointues. Alors, la renarde s'allongea aux côtés du loup, et elle se roula en boule, prête à s'endormir contre son pelage si chaud et et soyeux! Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie ainsi, et elle savourait pleinement cet instant. Elle commença à s’endormir, le sourire aux lèvres.

Alcade s'endormit en sentant Urion faire le nécessaire pour qu'elle soit le plus à l'aise possible. A son réveil, Urion s'était endormi à ses côtés. Le soleil était haut dans le ciel, maintenant. Elle se dégagea doucement pour ne pas le réveiller, puis s'étira, sans bruit.
Elle voulait partir immédiatement pour découvrir d'autres terres et rencontrer d'autres personnes, mais Eladriel l'arrêta: "Tu ne devrais pas faire quelque chose pour lui montrer que tu es partie de ton plein gré, et non pas enlevé comme il pourrait le craindre ?"
Elle soupira, puis s'exécuta. Avec ses dents, elle découpa des morceaux d'herbes et les plaça précautionneusement dans un ordre bien précis. Puis, elle s'éloigna un peu. Eladriel prit le contrôle de son corps et s'envola, après avoir murmurer une bénédiction pour ce loup qui lui ressemblait tellement au niveau des valeurs. Bonté, générosité, sagesse, amour de la vie, attention pour son prochain... en plus de son pelage couleur de ciel, qui lui rappelait tellement là où il habitait autrefois. Eladriel survola la forêt une ou deux fois, avant de partir définitivement. Alcade se surprit à avoir un pincement de cœur. Elle devait aimer Urion un peu plus qu'elle ne le croyait!

A côté d'Urion, des morceaux d'herbes dessinaient deux mots: "Liberté" et "Vie"